la place publique (l'ordre, le désordre et l'action)
Re: la place publique
Je comprends bien ton désarroi, chère Marion !
On passe en effet beaucoup de temps à balancer, à hésiter, à délibérer. Mais ce n'est pas pour cela que s'ensuit une décision libre ! Ce n'est pas pour cela non plus que ce temps de la délibération est du temps perdu, ou du temps gâché : ce temps était nécessaire pour que la décision finisse de mûrir en nous. En nous, mais pas par nous. Plus la peine de se tourmenter, c'est au contraire le poids de cette liberté illusoire qui était une arnaque...
Si le monde va mal, c'est uniquement parce que je m'oppose au courant de vie qui travaille en moi, et c'est cette opposition même que je ressens comme un acte "volontaire", ou un acte "libre" ? tel est d'ailleurs le sens profond du mythe du Péché Originel. As-tu remarqué combien le "oui" était facile, en rapport direct avec le lâcher prise, et par conséquent totalement étranger à la volonté qui en est l'exact opposé ?
Le "oui", faut-il s'empresser d'ajouter, peut également concerner une action qui transforme, qui s'oppose à ce qui est. Dire "oui" au monde, ce n'est pas dire "amen" à tout... C'est pourquoi il y a aussi le "oui" au désir en moi de changer le monde ? le "oui" au désir du monde de se changer par moi.
Pour ce qui est de ta question, cher domino... Je dirais que si tu fais ce premier pas, qui est la prise de conscience que tu n'es pas un ego qui agit, et qui est d'ailleurs, ici encore, plus de l'ordre du lâcher prise que de l'action volontaire, les autres pas s'enchaîneront sans que tu t'en préoccupes. Tu auras alors tout le loisir de contempler ce qui vit autour de toi, ce qui travaille en toi. Mais sans t'y impliquer émotionnellement. "Ce qui arrive" arrive, aussi bien en toi (ce qu'on appelle la volonté), entre toi et le monde (l'action), et dans le monde (les événements). Et c'est tout. Bientôt, tu ne verras plus vraiment de différence entre ce qui est en toi, et ce qui est hors de toi. Autrement dit : plus de "moi" ; ou, ce qui revient au même : rien qu'un grand "Moi"...
On passe en effet beaucoup de temps à balancer, à hésiter, à délibérer. Mais ce n'est pas pour cela que s'ensuit une décision libre ! Ce n'est pas pour cela non plus que ce temps de la délibération est du temps perdu, ou du temps gâché : ce temps était nécessaire pour que la décision finisse de mûrir en nous. En nous, mais pas par nous. Plus la peine de se tourmenter, c'est au contraire le poids de cette liberté illusoire qui était une arnaque...
Si le monde va mal, c'est uniquement parce que je m'oppose au courant de vie qui travaille en moi, et c'est cette opposition même que je ressens comme un acte "volontaire", ou un acte "libre" ? tel est d'ailleurs le sens profond du mythe du Péché Originel. As-tu remarqué combien le "oui" était facile, en rapport direct avec le lâcher prise, et par conséquent totalement étranger à la volonté qui en est l'exact opposé ?
Le "oui", faut-il s'empresser d'ajouter, peut également concerner une action qui transforme, qui s'oppose à ce qui est. Dire "oui" au monde, ce n'est pas dire "amen" à tout... C'est pourquoi il y a aussi le "oui" au désir en moi de changer le monde ? le "oui" au désir du monde de se changer par moi.
Pour ce qui est de ta question, cher domino... Je dirais que si tu fais ce premier pas, qui est la prise de conscience que tu n'es pas un ego qui agit, et qui est d'ailleurs, ici encore, plus de l'ordre du lâcher prise que de l'action volontaire, les autres pas s'enchaîneront sans que tu t'en préoccupes. Tu auras alors tout le loisir de contempler ce qui vit autour de toi, ce qui travaille en toi. Mais sans t'y impliquer émotionnellement. "Ce qui arrive" arrive, aussi bien en toi (ce qu'on appelle la volonté), entre toi et le monde (l'action), et dans le monde (les événements). Et c'est tout. Bientôt, tu ne verras plus vraiment de différence entre ce qui est en toi, et ce qui est hors de toi. Autrement dit : plus de "moi" ; ou, ce qui revient au même : rien qu'un grand "Moi"...
Re: la place publique
...Certains maîtres disent, ce qui revient au fond exactement au même, que l'acceptation inconditionnelle est la seule opportunité qui nous soit donnée d'éprouver une véritable et inaliénable liberté.
Re: la place publique
Difficile de rebondir après de telles réponses, cher Viator.
Une partie de moi, sans doute mon ego, n'est pas contente du tout de se trouver privée de la liberté réelle de décider et une autre partie, à laquelle je ne peux donner de nom, se réjouit de pouvoir dire oui à la vie.
Une partie de moi, sans doute mon ego, n'est pas contente du tout de se trouver privée de la liberté réelle de décider et une autre partie, à laquelle je ne peux donner de nom, se réjouit de pouvoir dire oui à la vie.
Re: la place publique
Il me semble que tu expérimentes là, chère Marion, une manifestation typique de la grande friction du "oui" et du "non", dont Gurdjieff disait qu'elle seule permet une "cristallisation" des corps supérieurs, et qu'elle forge l'âme. Friction entre un "quelque chose" qui laisse couler la vie à l'intérieur de soi, et un "quelque chose" qui veut, qui se tend, qui s'oppose. D'un côté, disons, l'amour, et de l'autre, la peur. Expérimenter cette lutte, c'est comme sentir une tension, et lâcher. Certaines pratiques corporelles invitent ainsi à retenir le souffle, et à le laisser s'épancher. C'est le contraste entre les deux moments qui rend plus prégnant encore le goût du "oui". À un certain moment d'ailleurs, ce "oui" n'a plus de goût particulier, est au-delà du goût...
Mais il ne faut pas confondre ce "oui" avec je ne sais quel laisser aller ? qui ne serait au fond qu'une manière paresseuse d'étouffer cet appel de la Conscience. Juste prêter l'oreille à ce courant de vie qui ne cherche qu'à s'épancher en moi, prêter l'oreille aux barrages qui s'y opposent, et rester attentif à ce combat, où se tient depuis toujours, au centre de "la Chambre Royale", le vainqueur immobile...
Mais il ne faut pas confondre ce "oui" avec je ne sais quel laisser aller ? qui ne serait au fond qu'une manière paresseuse d'étouffer cet appel de la Conscience. Juste prêter l'oreille à ce courant de vie qui ne cherche qu'à s'épancher en moi, prêter l'oreille aux barrages qui s'y opposent, et rester attentif à ce combat, où se tient depuis toujours, au centre de "la Chambre Royale", le vainqueur immobile...
Re: la place publique
merci pour cette réponse, cher Viator, qui me semble assez limpide dans son principe. La pratique, c'est autre chose.
Par contre, je n'ai pas eu l'honneur d'être présentée jusqu'ici au vainqueur immobile et je ne connais pas la "Chambre Royale". Pourrais-tu éclairer la béotienne que je suis ?
Par contre, je n'ai pas eu l'honneur d'être présentée jusqu'ici au vainqueur immobile et je ne connais pas la "Chambre Royale". Pourrais-tu éclairer la béotienne que je suis ?
Re: la place publique
... Ce " oui" dont tu parles , Viator, est source de paradoxes en effet!
Il s'agit peut être simplement d'acquiescer à soi-même, de se prendre soi même comme le jeu le plus plus sérieux, d'avoir devant les yeux les multiples choses qui nous apparaissent, de l'extérieur comme de l'intérieur, de les accueillir, les connaître, les laisser s'élargir en nous....
c'est là véritablement une tâche qui exige tout de nous....
Et pourtant
laisser faire , dit on!
Difficile de laisser faire quand on accueille ce qui vient avec notre intellect, notre morale, notre religion.... nos jugements, nos frictions.... nos couvertures, nécessaires pourtant, car elles nous permettent de nous construire.
puis sans doute le chemin s'élargit il alors hors de ces remparts qui nous protègent.
Seule notre intégrité peut être la garantie que la route ne deviendra pas un chemin absurde.
Il s'agit peut être simplement d'acquiescer à soi-même, de se prendre soi même comme le jeu le plus plus sérieux, d'avoir devant les yeux les multiples choses qui nous apparaissent, de l'extérieur comme de l'intérieur, de les accueillir, les connaître, les laisser s'élargir en nous....
c'est là véritablement une tâche qui exige tout de nous....
Et pourtant
laisser faire , dit on!
Difficile de laisser faire quand on accueille ce qui vient avec notre intellect, notre morale, notre religion.... nos jugements, nos frictions.... nos couvertures, nécessaires pourtant, car elles nous permettent de nous construire.
puis sans doute le chemin s'élargit il alors hors de ces remparts qui nous protègent.
Seule notre intégrité peut être la garantie que la route ne deviendra pas un chemin absurde.
Re: la place publique
Je vais d'abord tenter de te répondre, chère Marion. Si je te disais que le "vainqueur immobile" est le Soi, ou bien "ce qui est", et qui, étant ce qu'il est, ne peut être autre que ce qu'il est ; ou bien encore la chaleureuse lumière de l'évidence qui vient me baigner lorsque je sens pleinement cette victoire avec mon c?ur (et même si tout cela est vrai) ? je doute que cela t'avance beaucoup !
Ces mots n'étaient rien d'autre qu'une tentative poétique pour signifier que le "non" est inévitablement appelé à se résorber et à disparaître, à plus ou moins courte échéance, car il n'est rien de réel. Quant à dire, à l'aide de mots, ce que ce "vainqueur immobile" est vraiment, seul un poète, peut-être, pourrait le tenter... Cette image, que j'avais mise entre guillemets, vient d'ailleurs du magnifique Le contre-ciel de René Daumal : "Tuerais-je ?, demande Ardjuna le guerrier (...) Tue, est-il répondu, si tu es un tueur. Tu n'as pas le choix. Mais si tes mains rougissent du sang des ennemis, n'en laisse pas une goutte éclabousser la chambre royale, où attend le vainqueur immobile".
La pratique, comme tu dis, c'est autre chose...
Ces mots n'étaient rien d'autre qu'une tentative poétique pour signifier que le "non" est inévitablement appelé à se résorber et à disparaître, à plus ou moins courte échéance, car il n'est rien de réel. Quant à dire, à l'aide de mots, ce que ce "vainqueur immobile" est vraiment, seul un poète, peut-être, pourrait le tenter... Cette image, que j'avais mise entre guillemets, vient d'ailleurs du magnifique Le contre-ciel de René Daumal : "Tuerais-je ?, demande Ardjuna le guerrier (...) Tue, est-il répondu, si tu es un tueur. Tu n'as pas le choix. Mais si tes mains rougissent du sang des ennemis, n'en laisse pas une goutte éclabousser la chambre royale, où attend le vainqueur immobile".
La pratique, comme tu dis, c'est autre chose...
Re: la place publique
Cette tâche, dis-tu chère Lucie, exige tout de nous ? Mais ce "oui" n'est pas une tâche, dans le sens où il nécessiterait un effort, de quelque ordre que ce soit ! Il suffit d'acquiescer à ce qui est, comme tu le dis justement... Seul le "non" nous contraint. Il y a juste l?appel de la Conscience, que je peux entendre si je cesse de faire tous ces efforts pour me boucher les oreilles, et rien d'autre à faire qu'à laisser résonner (non pas raisonner !) en moi cette Conscience.
Bien sûr que l'on accueille avec tout ce qui nous a construit, tout ce que l'on est devenu, ici et maintenant : comment pourrait-il en être autrement ? Mais ce n'est pas du tout un problème : même la plus grande noirceur (apparente !) d'une âme n'est qu'un grain de poussière pour le grand ménage de la Conscience !
Le chemin s'élargit hors des remparts ? Je dirais plutôt qu'il survole les remparts, comme si toute ma vie m'apparaissait maintenant en deux dimensions, et les remparts une ligne sans épaisseur sur une carte, comme si j'avais découvert l'émerveillement du vol...
Oui enfin pour l'intégrité, qui nous préserve du sentiment de l'absurdité du chemin. Mais aucun chemin qui ne soit, en réalité, absurde.
Bien sûr que l'on accueille avec tout ce qui nous a construit, tout ce que l'on est devenu, ici et maintenant : comment pourrait-il en être autrement ? Mais ce n'est pas du tout un problème : même la plus grande noirceur (apparente !) d'une âme n'est qu'un grain de poussière pour le grand ménage de la Conscience !
Le chemin s'élargit hors des remparts ? Je dirais plutôt qu'il survole les remparts, comme si toute ma vie m'apparaissait maintenant en deux dimensions, et les remparts une ligne sans épaisseur sur une carte, comme si j'avais découvert l'émerveillement du vol...
Oui enfin pour l'intégrité, qui nous préserve du sentiment de l'absurdité du chemin. Mais aucun chemin qui ne soit, en réalité, absurde.
Re: la place publique
Merci, cher Viator, pour la poésie du vainqueur immobile dans la chambre royale.
Laisser résonner en moi cette Conscience, j'aimerais bien, mais je ne suis pas sûre d'avoir le mode d'emploi. Peut-être le terme de mode d'emploi est-il inadapté et ma question ridicule.
Tant pis, j'ose et je parie sur ta bienveillance.
Laisser résonner en moi cette Conscience, j'aimerais bien, mais je ne suis pas sûre d'avoir le mode d'emploi. Peut-être le terme de mode d'emploi est-il inadapté et ma question ridicule.
Tant pis, j'ose et je parie sur ta bienveillance.
Re: la place publique
"Ce oui n'est pas une tâche dans le sens où il necessiterait un effort", dis tu cher Viator, et je te suis dans cette pensée.
Mais n'y a t-il pas parfois illusion d'un effort à accomplir pour avancer sur ce chemin de nous même?
Comme dit si justement Marion, un mode d'emploi?
Danger de penser qu'il faut suivre une méthode parfois, ou une pratique particulière,ou suivre un exemple, et de concentrer nos efforts sur ces actions?
La tentation d'introduire partout un dessein ou une méthode est grande.
L'expérience du sage que l'on voudrait suivre ne doit être ni "ceci, ni "cela" au risque d'en faire une recette que l'on peut multiplier.
Cette quête du "oui", qui peut passer par une pratique, ou une recette, ou un exemple que l'on veut suivre, pourrait bien être alors le "non" dont tu parles ?
Ce non qui nous contraint, ainsi que tu le dis.
C'est dans ce sens que j'évoquais le paradoxe du "oui".
Ne rien faire, laisser advenir....
"la lumière tourne selon sa propre loi si l'on ne cesse pas d'exercer ses occupations habituelles" (Lu Tsou)
Mais laisser advenir, cet art véritable, n'est pas sans rencontrer des interférences, nos petites crispations intérieures qui détournent cette lumière...
...et savoir laisser advenir nos interférences, observer nos tensions et nos doutes, comme des objets issus de nous ....
"La tâche serait assez simple si la simplicité n'était ce qu'il y a de plus difficile" écrit Jung
Mais n'y a t-il pas parfois illusion d'un effort à accomplir pour avancer sur ce chemin de nous même?
Comme dit si justement Marion, un mode d'emploi?
Danger de penser qu'il faut suivre une méthode parfois, ou une pratique particulière,ou suivre un exemple, et de concentrer nos efforts sur ces actions?
La tentation d'introduire partout un dessein ou une méthode est grande.
L'expérience du sage que l'on voudrait suivre ne doit être ni "ceci, ni "cela" au risque d'en faire une recette que l'on peut multiplier.
Cette quête du "oui", qui peut passer par une pratique, ou une recette, ou un exemple que l'on veut suivre, pourrait bien être alors le "non" dont tu parles ?
Ce non qui nous contraint, ainsi que tu le dis.
C'est dans ce sens que j'évoquais le paradoxe du "oui".
Ne rien faire, laisser advenir....
"la lumière tourne selon sa propre loi si l'on ne cesse pas d'exercer ses occupations habituelles" (Lu Tsou)
Mais laisser advenir, cet art véritable, n'est pas sans rencontrer des interférences, nos petites crispations intérieures qui détournent cette lumière...
...et savoir laisser advenir nos interférences, observer nos tensions et nos doutes, comme des objets issus de nous ....
"La tâche serait assez simple si la simplicité n'était ce qu'il y a de plus difficile" écrit Jung