Amor fati : l’amour du fatum, de la fatalité du destin — c’est-à-dire l’amour de cela qui arrive, imprévisible toujours, disparaissant déjà par le même mouvement qui le fait apparaître. Et cela qui arrive, plus ou moins directement, m’arrive.

Dois-je vraiment tout aimer ? Même cette rage de dents qui me gène ? Même cette maladie qui me mine ? Même la misère, même l’injustice ? Oui. Et si je ne peux aimer, que j’essaie au moins d’accepter. Bien entendu, j’accepte aussi la gène que m’occasionne ce mal de dents, etc. J’aime que je n’aime pas ceci ou cela. C’est la première étape.

Par conséquent, j’aime la lutte que j’entreprends pour faire cesser ce que je n’aime pas. Et j’aime aussi la victoire, et j’aime aussi la défaite à l’issue de cette lutte, si elles surviennent.

Quoi que je fasse, quoi que j’obtienne par mon action : amor fati. — Mais pourquoi agir alors, si le résultat de ce que j’obtiens est aimable au même titre que le résultat que je n’obtiendrais pas en n’agissant pas ? Pourquoi prendre la peine de me fatiguer ?

Que j’agisse ou non : amor fati. Peu importe au fond. Cependant, je ne parviens à la plénitude de cet amor que lorsque j’ai appris à agir, du mieux que je peux (en aimant donc mon action), mais sans que son résultat, une fois obtenu, ait une importance particulière pour moi (en aimant donc le résultat, quel qu’il soit, de mon action) — Pour apprendre à aimer, commencer par moi, par ce que je tente, par ce que je réalise.

Amor fati : c’est l’amour de tout ce qui vient — ou ne vient pas — par moi. C’est la deuxième étape.

À la troisième étape, pas de distinction entre ce qui vient par moi et ce qui vient par autre que moi.

À la fin, plus de moi à qui quelque chose vient. Plus de fatum. Rien que l’amor.