La première chose qui intéresse les hommes, c’est de savoir s’Il existe — ou non. Ce qu’Il est : tous en sont à peu près d’accord (Puissance, Amour, Justice infinis — ce qui reste, il est vrai, assez vague…) S’Il est : cette question les divise depuis toujours (s’Il est réellement s’entend, s’Il est une personne — et non simplement un principe abstrait, une idée d’homme, un mot pour nommer son ignorance ou son besoin. Ou son refus). Car, parmi ceux qui savent — croient qu’ils savent — il y en a à peu près la moitié qui affirme que Dieu existe, et exactement l’autre moitié qui soutient exactement le contraire. Tous ceux-là sont objectifs : ils ne font que survoler la question.
Il y a aussi, beaucoup moins nombreux, ceux qui ne savent pas — et savent qu’ils ne savent pas. Tels sont les saints, car ils doutent beaucoup, et les prophètes, car ils résistent souvent. Ceux-là continuent leurs recherches, appellent dans la nuit, ou bien se demandent si l’homme peut connaître la réponse. Peut-être se désintéressent-ils aujourd’hui de la question, mais c’est seulement par lassitude. Comme tout le monde, à un moment ou à un autre de leur vie, ils ont été subjectifs : ils furent touchés, retournés, battus par les remous de la question.
Et puis il y a ceux, rarissimes, qui voient. Ceux, improbables, qui savent. Absolument. Pourquoi ne disent-ils rien ? Cela apaiserait pourtant bien des angoisses inutiles, épargnerait bien des discussions stériles s’ils disaient cela — ou ce rien — qu’ils voient, qu’ils savent. Mais chutt !… S’ils restent muets, c’est pour ménager le suspense, pour épaissir l’intrigue. Car il faut nous enfoncer, toujours plus bas, dans le grand silence de la question. S’il voyait parfaitement, s’il savait vraiment, le voyageur verrait tout, saurait tout. Il n’aurait plus aucune chance de rester un homme : il serait déjà un dieu. Pauvre dieu ! Il aurait définitivement cessé de voyager.
Quant à "Dieu", c’est un mot qui ne signifie rien car il en dit trop, une carte qui n’indique rien car elle montre tout — à peu près inutilisable pour le voyageur.
En deçà de tous les mots : l’Imprononçable. De l’autre côté de chaque carte : le Blanc du papier. Dans les replis du voyage : le Silence, clair comme le rire d’un enfant.